Alors nous voilà partis pour l'année des bis, apparemment. Ben
oui, 2016 est bissextile il paraît (oui les combinaisons de jeux de mot grivois
sont infinies, c'en est décourageant, et je me laisse décourager. Mais allez-y,
vous).
Et puis il y a cette histoire de
déchéance de (bi)nationalité.
Laissez-moi vous dire que je
suis très déchue justement.
Evidemment je trouve ça crétin
d'un point de vue strictement judiciaire, mais on l'a bien assez répété, que ça
ne servait à rien dans la lutte contre le terrorisme, je ne vais pas vous faire
l'affront d'en rajouter une couche (comme disait van Gogh).
Mais alors qu'un gouvernement de
gauche (si, le PS c'est la gauche) tombe dans le retour de l'ordre moral à ce
point, ça me dépite (comme disait Angelina).
Car qui déchoit d'habitude?
Devinez qui? Les humains (soyons lucides, bien souvent les femmes hein, relisez
Hugo, Sue et les autres) qui tombent dans la fange MORALE. Soit qu'elles
deviennent putes ou qu'elles ne s'occupent pas de leurs marmots, ou si c'est
des hommes qu'ils deviennent poivrots et du coup manquent à leurs devoirs
d'époux-et-de-pères (et de soutiens de famille). Ou encore qu'ils manquent à
leurs devoirs de chrétiens (parce qu'avec la religion la fête est plus folle, comme disait Charlie).
Et paf. Le ban de la société.
L'excommunication. La mise à l'index. La déchéance.
C'est vrai quoi, on ne déchoit
pas les animaux. On ne déchoit pas les objets. On ne déchoit pas les
associations, les entreprises, les organisations, les écoles, les préfectures,
les arbres, les omelettes. Non, pour déchoir il faut avoir une âme. Ou une
nationalité, donc (enfin deux. Ou bien une? Nos édiles se tâtent.)
Donc voilà l'État qui décide
qu'il est en droit de juger de la valeur de l'âme d'un citoyen (oui ce citoyen est dans le cas
qui nous occupe un terroriste abject qu'on a très envie de pendre par les
couilles. Mais justement, on ne le fait pas, parce que lui aussi a le même
genre d'envie et regardez le résultat quand tout le monde laisse libre cours à
ses fantasmes de vengeance? On avait dit je crois avec le contrat social et
tout le bazar qu'on inventait la justice, impartiale (hum), pour régler les
problèmes. Donc on ne pend personne par les couilles, et on ne laisse pas non plus
des gens en massacrer d'autres impunément à la mitraillette), donc voilà l'État
disais-je avant de me coller moi-même des bâtons dans la phrase, qui décide que
tel citoyen est indigne est qu'il faut le déchoir.
Bon je suis linguiste, donc je
manque d’objectivité, mais n’y a-t-il vraiment qu'à moi qu'il fait mal, ce
verbe-là?
Dans le sens théologique,
déchoir veut dire perdre l'état de grâce originel. Là ce serait l'état de
français qu'on perdrait en tuant des gens de cette façon (en revanche quand
on en tue parce qu'on est fou de jalousie, ou détraqué sexuel, mu par l’appât du
gain ou pour voir l'effet que ça fait, ça passe. On est éventuellement
condamné, mais on ne perd pas l'état de grâce originel. Ouf).
Déchoir ça veut aussi dire «tomber
dans un état inférieur à celui où on était auparavant.» Donc imaginons qu'un Franco-belge
commette un attentat, bim, il est déchu, il devient uniquement belge.
Inférieur, donc. (Nos amis belges apprécieront).
Et alors attention, quand il est
question de coller la déchéance au rencart, on la remplace par...l'indignité
nationale. Là je développe où vous avez compris l'idée?
Bref, voilà le grand retour de
l'ordre moral destiné à remplacer la réflexion, les remises en question du
fonctionnement de notre société (parce qu'après tout, pour ceux qui décident de
ce genre de connerie, elle fonctionne plutôt bien, non?)
Certes, on m’opposera que
déchéance de nationalité et indignité nationale sont des expressions gravées
dans le marbre de l’histoire de France, qu’il ne faut pas s’attacher aux mots,
que c’est le symbole qui prime. Sauf que si on s’attache au symbole, alors
force est reconnaître que c’est un symbole auquel ce sont plutôt les partis de
droite, conservateurs et moralisateurs (suivez mon regard) qui sont attachés.
Outre le fait qu’un autre pays
est censé récupérer un terroriste dont il n’aura que faire (on a hâte que la
mesure soit votée partout, pour qu’on puisse jouer à «tu me files deux
terroristes déchus je t’en rends trois»), d’un point de vue symbolique
justement, c’est lourd. Je n’ai rien contre les symboles, bien au contraire.
Ils sont nécessaires à nos esprits émotifs et assoiffés de jolies images
unificatrices. Mais ils ne soignent pas les maux, ils ne résolvent pas les
problèmes, et c’est moche de les présenter comme des solutions alors que ce ne
sont que des cache-misère.
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