lundi 20 janvier 2014

Feuilleton(s)


Une cuillère pour papa (I)

Assise devant la table recouverte d’une toile cirée, je soulève le couvercle du pot de Nutella vide et le pose devant moi. Sur la nappe fleurie trône aussi un grand pot de confiture en terre cuite, blanc, avec des fleurs en relief, au joint en caoutchouc vieux et usé et à la charnière en métal un peu rouillée par endroit. Le papier journal étalé sur la table affiche une colère d’ostréiculteurs vieille de quatre ans.

Quand faut y aller faut y aller. Pour m’armer de courage, j’ai l’habitude de faire le vide total dans ma tête. Comme pour me jeter à l’eau à la piscine, me faire une piqûre toute seule, m’ouvrir le doigt avec une aiguille pour retirer une écharde ou me livrer à des cabrioles sexuelles quand le cœur n’y est pas. Ambiance ferme les yeux et pense à l’Angleterre. Sauf que dans ce cas de figure, il va falloir assumer un tantinet et regarder les choses bien en face.

Je plonge la cuillère à soupe dans le pot à confiture à moitié rempli d’une poudre grisâtre. La cuillère s’enfonce avec un crissement sourd. Je transvase la cuillère pleine à ras-bord de poudre dans le pot de Nutella. C’est le premier pas le plus dur. Le reste va tout seul. Une cuillérée pour papa. Une autre pour papa. Encore une autre. Une dernière.
Le pot de Nutella est plein à ras bord.  Je le referme, constate qu’il reste de la poudre un peu agglomérée au fond du pot de confiture. Je vais chercher un flacon en plastique vide dans la salle de bain, de ceux qui servent à verser du champoing ou du savon liquide à emporter à la piscine ou en voyage. Je racle le fond du pot, et verse la poudre qu’il restait dans le flacon avec un entonnoir.
C’est bon. C’est fait.

Ce pot à confiture blanc dormait depuis quatre ans dans mon placard. Il avait passé les cinq années précédentes sur une cheminée, entre une boîte en fer pleine de papier à rouler et de bouts de shit et un masque africain en ébène aux joues lisses et aux pommettes d’une hauteur improbable. Ma sœur l’avait gardé chez elle pendant ces cinq années, avant de décréter qu’il dégageait de mauvaises ondes et qu’elle n’en voulait plus. C’était sûrement lui qui l’empêchait d’avoir une relation durable. Ou une relation tout court à mon avis, mais on ne me le demande pas souvent. Je m’étais donc dévouée pour prendre mon tour de garde du pot. Il avait atterri derrière la pile des draps au fond d’un placard, où il dormait gentiment depuis plus de quatre ans. J’aurais bien aimé lui coller sur le dos toutes les mauvaises décisions que j’avais prises depuis qu’il était arrivé, mais dans ce cas j’aurais eu du mal à justifier celles des 38 années précédentes sans être obligée de m’avouer que j’étais tout simplement la dernière des crétines.

Au cours de ces quatre années, il était sorti une fois du placard, au cours d’une conversation avec mon fils de cinq ans qui avait voulu savoir où était enterré mon père.
- Il n’est pas enterré.
- Ben il est où ?
- Dans le placard de ma chambre. Tu veux le voir ?
J’avais alors descendu le pot à confiture et je l’avais ouvert sous les yeux dégoûtés de ma fille de huit ans et curieux de son frère encore intouchés par nos tabous.
- Beurk fit–elle.
Lui suivit son instinct de petit animal pas tout à fait civilisé, plongea le doigt dans la poudre et commença à remuer.
- Bon chéri t’arrêtes de touiller papy. Ca va bien comme ça.
Et il avait réintégré le fond de l’armoire, pot à confiture et papier journal et tout.


Pour le dixième anniversaire de sa crémation (où nous étions neuf, sans compter le croque-mort), j’avais réalisé que j’allais me retrouver toute ma vie avec mon père sur les bras si je ne m’en débarrassais pas une bonne fois pour toutes. La moitié de ses cendres avaient déjà été déversées dans la rivière qui coulait au fond de son jardin, juste retour des choses vu le nombre de poissons qu’il y avait pêchés et bouffés. Nous y avions apporté l’urne juste après la crémation. On peut apporter sa musique pour une crémation. Pour les très prévoyants, je suggère de faire une petite compile pré-mortem. Ca met de l’ambiance et c’est plus sympa pour les pauvres proches qui vous survivent et qui doivent choisir vite fait un disque ou deux au hasard dans votre discothèque. Remarquez c’est aussi l’occasion de leur pourrir la vie une dernière fois en insistant pour qu’on écoute du Francis Lalanne ou du Céline Dion pendant toute la cérémonie. Papa n’avait pas laissé d’instruction, il était mort par surprise. La plus sordide ayant été pour son pote venu le réveiller à l’aube pour partir à la pêche, et qui l’avait retrouvé raide comme un piquet, à poil au fond de son lit. Nous avions donc pris deux disques en vitesse, un Brassens et un Gainsbourg, ce qui nous avait permis, en attendant qu’ils finissent de le cuire, d’écouter entre autres une chanson intégralement interprété avec des bruits de pets. Connaissant l’esprit provocateur de mon père, personne n’avait été ni choqué, ni surpris. Pas de quoi fouetter un croque-mort.


(La suite un autre jour).

vendredi 3 janvier 2014

Des mots pour pas le dire

À la base, avant d'être blogueuse étaleuse de déboires perso-logistico-materno-immobiliers, je suis quand même, vaguement, linguiste. Passée par la case histoire anglo-saxonne, littérature, merveilles médiévales (le savais-tu? Au Moyen-Âge pour savoir si la Grosse rousse était une sorcière, il suffisait de la jeter à l'eau, ligotée dans un sac. Si elle s'en sortait, alors là oui vraiment, c'était une sorcière, yavait plus qu'à la brûler (éventuellement la sécher avant, sinon ça prend pas bien et ça fait de la fumée). Si malencontreusement elle mourait noyée, alors ce n'était pas une sorcière du tout, et yavait plus qu'à s'excuser platement avant de l'enterrer. C'est pas beau, les études médiévales?), découvertes du Nouveau Monde (le savais-tu? Les Aztèques parfois, non contents de zigouiller leurs ennemis perchés sur des pyramides en leur arrachant le coeur et en leur mettant sous le nez, revêtaient leur peau pour prendre leur force. D'où l'expression je t'ai dans la peau. C'est pas beau, les études mésoaméricaines?)

En gros les mots sont mon gagne-pain et si j'en ai beaucoup sur la planche, il est souvent bien sec et le blanc est derrière moi (le pain blanc. Pas le blanc sec. Suivez un peu vous serez mignons).
Si les petits mots de ma vie sont parfois doux, les gros sont durs à avaler, forcément. Et puis souvent, ils me manquent, les mots. Alors que les maux, eux, me manquent rarement. Ils se jettent à ma tête et me crient aux oreilles. Et les maux dits, c'est l'enfer.

Comme les dernières péripéties de ma vie privée vont servir de scénario au prochain épisode de Candy joue avec son caca dans la salle de shoot des Bisounours, et que j'ai juré de ne rien divulguer avant sa sortie sur les écrans du cinéma X de Rungis-sur-Marouflette en novembre 2018, j'inaugure une rubrique néologismes et dictons à la con en attendant de revenir dans notre galaxie.

Le mot du jour: Coprotéliste. De copro: caca, et téliste: qui fait des collections à la con (des collections de listes, par exemple. Je me demande si Titiou fait pas ça, tiens). Qui collectionne les emmerdes.
Exemple: En coprotéliste convaincue, Berthe, après avoir confondu un clou rouillé avec son suppositoire contre les hémorroïdes, se rendit compte que son vaccin contre le tétanos n'était pas à jour.