samedi 16 novembre 2013

À toi à moi

Cher voleur de valise,

Toi qui as trouvé que mon sac de voyage rouge à fleurs était très à ton goût, je te félicite. De toute évidence on a les mêmes, et moi aussi je le trouvais très joli. Tu n'as peut-être pas remarqué que dans la poche intérieure, il y a le plan d'une capitale européenne, je l'avais laissé exprès, en souvenir, j'aimais bien tomber dessus sans m'y attendre et retourner en pensée, un moment, dans un coin de bien-être qui ne reviendra pas,

Toi qui vas pouvoir mettre ma jupe neuve que j'avais depuis une semaine et que j'ai mise sept fois car elle avait accédé violemment au statut de jupe préférée, sauf si tu es un gars auquel cas tu vas devoir la mettre en cachette le soir devant ton miroir pour voir ce que ça fait, pour pas qu'on te jette des pierres ou que ta femme appelle sa soeur en pleurant que tu veux changer de sexe et que t'oses pas lui dire et qu'elle se doutait bien qu'il y avait quelque chose vu que tu la touchais plus depuis des mois,

Toi qui vas pouvoir aller courir avec des baskets de compète si tu chausses du 41 ou à peu près, sache que tu seras le troisième à les user, tu verras c'est de la bonne came, avec ça on n'a pas mal au dos, contrairement à celles qu'on m'a offertes depuis, qui sont plus jolies certes mais qui amortissent moins,

Toi qui vas te demander quel genre de femme met dans la même valise un tanga en dentelle verte avec beaucoup plus de dentelle que de tanga, qu'on se demande à quoi ça sert autant ne pas mettre de culotte, et un slip en coton d'une affligeante banalité,

Toi qui vas pouvoir récurer tes chiottes avec ma brosse à dents, nourrir tes pompes avec ma crème Nivea, soigner tes complexes avec mes remèdes,

Toi qui vas pouvoir porter ou offrir mon joli pull noir offert par ma meilleure amie, porté par elle puis par moi depuis au moins quinze ans, et dont je venais juste de raccommoder un accroc au coude, super fiérasse parce que ça se voyait pas du tout (tu peux chercher mon vieux, il a l'air neuf et moi j'ai l'air bien con),

Toi qui vas porter, arborer, offrir, jeter un petit bout de ma vie qu'un jour de désespoir mon karma m'a suggéré d'abandonner dans un train qui partait plus loin que moi, trouvant avec raison que décidément, j'avais déjà assez de choses à porter comme ça, et qu'il fallait m'alléger un peu,

Je ne t'en veux pas. Un jour, toi aussi tu abandonneras dans un train ou ailleurs un petit bout de ta vie et tu te diras que c'est matériel, que l'essentiel on ne peut pas te l'enlever. Même si quand même, pour la jupe, j'ai bien les boules.



Post dédié à mon Boubou, dans la valise du fond de mon coeur depuis 25 ans, je te tiens la main en pensée mon chéri.