lundi 26 janvier 2015

Comme plein de gens ont écrit de belles choses, et des moins belles, sur Charlie.
Ça notamment, c'est bien.

Je n'ose pas apporter ma pierre vaine à l'édifice.
Je pourrais tenter de raconter, de décrire par le menu l'indignation, la tristesse, la rage, la haine, tout ce qui me traverse depuis le mercredi de Charlie, et qui traverse tellement de gens. Mettre de jolis mots dessus, filer des métaphores, tout ça. Mais bof. Je n'arrive pas à me dire que ces mots auront un sens puisque cet événement n'en a pas, au fond.

(NB: le mois d'avant au Pakistan, les talibans sont entrés dans une école et ont tué à l'arme lourde, aussi, au moins 130 enfants. Et des profs. Vous vous en souveniez? Moi j'avais oublié.)

Voilà plutôt de quoi, brièvement, ma tristesse fut cousine un instant.

J'avais sept ans. Nous étions en voiture avec papa, maman et ma grande soeur. Personne n'était attaché, puisque c'était les années 1970 (oui je suis si vieille que ça). Ou alors 1980, allez, en tout cas Mitterrand n'était pas encore passé par nous, les téléphones avaient des fils et on fumait dans les bagnoles. Bref. La route des vacances. Mon père était médecin, alors il s'est arrêté. Il y avait une camionnette blanche, accidentée. Nous on est restées dans la voiture, maman, ma soeur et moi. J'ai vu, au milieu de la route, par terre, une couverture marron. Sur la couverture, un enfant totalement mort. Il y en avait trois autres, morts aussi, enfin deux morts et un qui mourrait le lendemain, mais ceux-là, je ne les ai pas vus.

Chaque fois que je revois ce garçon mort sur sa couverture, je retrouve le goût de la terreur dans ma bouche. C'est un mélange de terre et de sang, et d'égoïsme forcené. Comme s'il fallait s'avaler soi-même pour ne pas se vomir. Ce jour-là j'ai su que je mourrais aussi. Ca m'a fait peur.

Mais ce ne fut pas ça, le pire. Ce cadavre me fascinait, et la fascination est une expérience positive, quelque part. Je n'étais pas au fond du gouffre de l'horreur, il restait une marge. La curiosité m'empêchait de me faire happer.

J'y suis tombée de tout mon long quand en levant les yeux j'ai vu, assise au bord de la route, la mère, la tête entre les mains.

(35 ans plus tard je n'arrive toujours pas à conduire une voiture).

A ce moment-là j'ai vu du bout des yeux le visage du vrai désespoir, si profondément intolérable qu'il en est indicible. Les mains de cette mère ne pouvaient pas le dissimuler du tout.

Mais j'avais 7 ans et nous sommes repartis vers de nouvelles aventures (en ce qui me concerne vers une colonie de vacances où des monitrices sadiques nous battirent et nous humilièrent pendant trois semaines. Mais je ne vais pas le raconter tout de suite, ce serait trop de bonheur d'un coup).

Il y a des moments comme ça dans la vie, qui sont juste moches.

Voilà de quoi, brièvement, ma tristesse fut cousine un instant.

1 commentaire:

  1. Terrible post, Bérangère, qui nous renvoie en tant que maman au pire de ce qui peut arriver... Raison de plus pour profiter de la vie, mais sans oublier, évidemment...

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