dimanche 4 août 2013

Tête de mue

Avec les grande chaleurs, le cerveau de l'iguane commence à faire des bulles saumâtres.

Ne l'avez-vous pas eu, vous, ce sentiment que la vie n'est qu'une longue série de mues, l'une après l'autre, de plus en plus grandes les peaux qu'on abandonne, et puis, après l'apogée de la croissance, de nouveau de plus en plus petites et fines, tellement fine, transparentes mêmes, qu'on ne les voit plus tomber, jusqu'au jour où devant le miroir un vieil iguane vous contemple en ricanant. Jaune.

Qu'as-tu fait de ta vie de reptile? Tu as pondu des œufs? Tu as creusé ton trou? Tu as pris, dépris, repris, tu t'es laissé prendre, tu as laissé partir, couru derrière mais oh, trop tard, et puis las tu t'es arrêté de tenter de t'éprendre?

Tu as peut-être construit de quoi fasciner les autres reptiles, ou peut-être t'es-tu contenté d'être de ceux qui restent bouche bée devant la mue des autres? Tu as assuré ad vitam le confort de ta descendance, ou tu vis au jour le jour avec au ventre l'angoisse de leur lendemain? Tu es resté avec ton co-iguane, par habitude, par tendresse, parce que tu as oublié de le quitter, parce seul, ce n'est vraiment pas possible, et puis je ne vais pas lui faire ça? Tu t'es laissé envahir par les cafards, un seul d'abord, en plein jour, sur le mur de la cuisine, et puis deux, trois, cent et mille, grouillant toutes les nuits sous ton lit et dans ta tête, et toutes les bombes insecticides du monde, tous les déménagements ne les tueront pas, parce que leurs œufs sont en toi depuis tout petit, et que c'est là, maintenant, à l'aube de ta pente descendante, qu'ils choisissent d'éclore--parce que tu es juste rafistolé à la colle, que la colle a vieilli, et que ça y est, les fissures réapparaissent.

Bref je vais avoir 40 ans et j'aime pas l'idée.

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