Allongée sur le dos la tête dans la machine. Dans mon bras le tentacule pénètre ma veine. Je suis prévenue: je vais avoir chaud. Ben pour l'instant j'ai plutôt froid dans ce troisième sous-sol à la lumière de salle d'autopsie, ça tombe bien. Pas de panique, je suis tranxénisée à mort, donc détendue du système nerveux central, périphérique et orbital. Je ferme les yeux, ziiiim, bouuuum, ouiiiiz, ça bruisse, je sens rien, ça va on va pas en faire un plat. Et puis tout d'un coup le micro se déclenche, ici Houston madame, j'injecte hein, ça va bien se passer. Et là mon bras explose. Je sais que je dois pas bouger et je m'étais promis d'être sage, mais la douleur dans le bras me laisse échapper un aïe. Parce que ça fait mal, certes, mais aussi, un peu, pour prévenir qu'au cas où le fait d'avoir mal dès le départ était un signe que mon bras allait tomber, ou moi devenir vert anis, me mettre à braire ou à baver de la mousse radioactive, ben c'était le moment de se mettre à paniquer.
En fait le robot du micro ne dit rien, j'en déduis pendant un quart de seconde qu'il s'en fout/qu'il est mort /qu'il rigole/qu'il me trouve douillette. Voire tout à la fois (qu'un mec meure en rigolant et en me trouvant douillette, je suis quand même un tantinet humiliée, là). Et un quart de seconde plus tard, ma tête se met à cuire, je sens mon cerveau qui fait des bulles, c'est très chaud, trop chaud.... C'est un film d'horreur et de science-fiction à la fois. Il m'a injecté des cafards dans le bras, ils courent dans mes veines jusqu'à ma tête, il font un feu de joie, ils sont tout fous. Et puis à la vitesse de l'éclair il se ruent le long de ma colonne et sortent par la fouffe, en un nuage chaud et liquide. Mon corps entier bout et se tend, je ne suis pas attachée mais je suis immobile, ils m'ont eue, les vaches. C'est fini madame dit le robot du micro. Ta mère c'est fini! J'ouvre les yeux, je vois un jeune homme à l'air soucieux, qui me ça-va-madamise en boucle, parce que non, je çavamadamise pas du tout. Il reste deux petits cafards derrière mes paupières qui les ferment de force et qui éteignent mon cerveau. Madaaaaaaameçàavamadaaaaaaame vous arrivez à respirer madaaaaaaame.......fermez pas les yeuuuux....
Suit une lutte acharnée entre le cafard de ma tête et le monsieur. Je ne suis que l'instrument de leur communication, l'enjeu de leur affrontement. Ca va madame? Non. Vous arrivez à respirer? Oui. Je lui réponds dans ma tête, ma bouche refusant obstinément de s'ouvrir. Je vais secouer la tête à la place, tiens. Ah ben non je peux pas non plus, je vais plutôt fermer les yeux et dormir en vomissant, ça me paraît vachement plus attractif soudain comme option. Madâââââme.
Et puis mes yeux s'ouvrent, ma bouche aussi, mon menton se met à trembler et une petite cohorte de cafards sortent de mes lèvres entrouvertes et de mes yeux qui luttent pour pas pleurer. De leurs petites pattes ils descendent de mon visage à la queue-leu-leu, dégringolent de la machine en ricanant, on l'a bien eue, prennent la porte et vont coloniser une autre poche d'iode, pour la prochaine qui viendra s'allonger là.